Les plus beaux textes au fil de l’eau
Les Robinsonnais ont une fois de plus et malgré le confinement, fait briller la langue française, à l’occasion du challenge d’écriture « Dis-moi dix mots », proposé par le Ministère de la Culture dans le cadre de la Semaine de la langue française.
De tous âges, parfois en famille, ils ont été nombreux à répondre à l’appel de la Médiathèque Jean d’Ormesson, en exerçant leur plume autour des dix mots choisis autour du thème de cette année : l’eau.
L’équipe de la Médiathèque remercie l’ensemble des participants pour leur créativité et vous propose de découvrir les plus beaux textes.
Rappel
Les participants au challenge « Dis-moi dix mots » devaient proposer un texte, de la forme de leur choix, comprenant les dix mots (ou au moins l’un d’entre eux, pour les jeunes participants) de la sélection de cette année :
aquarelle (nom)
à vau-l'eau (adv.)
engloutir (v.)
fluide (adj.)
mangrove (nom)
oasis (nom)
ondée (nom)
plouf (interj.)
ruisseler (v.)
spitant (adj.)
Textes
Il était une fois au Moyen-Âge, une nuit particulièrement noire et froide. Les paysans avaient peur… Cachés derrière leurs fenêtres, à travers l’eau qui ruisselait sur les vitres, ils pensaient voir dans les nuages, des formes de monstres.
Un éclair, une pluie torrentielle, l’eau zigzaguait à travers les rues. Les paysans imaginaient un serpent engloutissant leur village.
Soudain, un des hommes prit son courage à deux mains, et dans un mouvement fluide il pointa son fusil sur cette forme ondulante et tira !
‘Plouf’… comme par magie, le monstre se transforma en une fine ondée… et le soleil se leva. Le village n’eut plus jamais peur.
Alexandre Bonhomme, 11 ans
C’est bon ! Mon aquarelle est terminée. Quand je la regarde, ce que je vois c’est la vie. Une vie magnifique, une oasis de bonheur. Du soleil, des palmiers, des gens heureux qui jouent et plongent dans une eau turquoise. Leurs mouvements sont fluides et cela ne fait presque pas de bruit quand ils rentrent dans l’eau… à peine un léger ‘plouf’, comme si l’eau s’ouvrait devant eux. Des cornes d’abondance pour engloutir des fruits à volonté… Tout est si coloré et odorant ! Plus je regarde mon tableau, plus j’ai le sentiment de vivre ce que je vois.
Manon Bonhomme, 11 ans
Souvenirs
Tant de choses me reviennent en mémoire quand je regarde cette aquarelle…
Nos merveilleuses vacances en Floride en 2014.
Ma grande Charlotte se souvient encore de notre balade en canoë dans la mangrove près du Golfe du Mexique. De petits crabes noirs sautaient dans notre embarcation, et elle hurlait de peur en entendant leur ‘plouf’, ne sachant pas trop ce qui nous attaquait ! Nous devions baisser la tête pour éviter les branches basses et sinueuses… La nature était calme, nous étions seuls au monde.
Le rythme était assez soutenu et fluide, car nous devions rentrer avant la nuit, pour ne pas être engloutis par des montres marins. En fait, au milieu de cette immensité et de ce silence, la peur nous gagnait… Je maintenais mes efforts, mais Charlotte était fatiguée et elle ne pagayait plus vraiment. Je ruisselais de sueur. Et j’appréhendais l’angoisse que je sentais monter. Pour couronner le tout, nous fûmes surpris par une ondée. Tout allait à vau-l’eau ! Quel désastre ! Notre balade paradisiaque se transformait en cauchemar.
Je tenais bon, mais j’avais mal aux bras, aux mains, au dos… les larmes me montaient aux yeux. Puis j’aperçus l’embarcadère, notre oasis ! Dieu merci, nous étions à nouveau sur la terre ferme. Nous bûmes les dernières gouttes de notre eau spitante, tiède, mais salvatrice. Nous montâmes dans notre Van, direction le motel à Key Largo.
De retour en France, et quelques mois plus tard, je peignais cette aquarelle, souvenir de notre été 2014.
Aurélie Bonhomme, 46 ans
J’ai attendu que l’ondée s’arrête pour sortir faire un tour. J’ai besoin de m’aérer après cette période de confinement. L’eau ruisselle dans les caniveaux. Personne à l’horizon sauf un jogger spitant marchant à vive allure comme si il voulait gagner un marathon. Je vais à l’Étang Colbert, véritable oasis de verdure, où j’ai prévu de nourrir les canards. Ils semblent affamés les pauvres et se précipitent sur les morceaux de pain que je leur tends qu’ils engloutissent avidement. Mais ils sont tout à coup effrayés par un grand plouf dans l’eau. C’est un autre oiseau qui vient de plonger pour essayer d’attraper un poisson. Au retour, la circulation est très fluide voire parfois inexistante dans la rue. Cette balade m’a détendue et m’a donné envie de me remettre à l’aquarelle. Je peindrais bien la mangrove d’Acapulco avec son enchevêtrement végétal imbibé d’eau : un beau souvenir de voyage ! Mais c’est la pagaille chez moi. Tout va à vau-l’eau. Il faut d’abord que je fasse du rangement.
Anne-Marie Vivent, 76 ans
Alors, charmant Zéphyr
Toi qui fais mourir l’ondée
Aux rives des mangroves
Saurais-tu engloutir
Dans un grand plouf !
La barque du vieux Charon
Errant par les Enfers, sur l’Achéron ?
Certes non, répond le vent léger.
D’un doux murmure
Je sais rafraîchir
L’oasis verdoyante,
Égayer
La dynamique des fluides,
Mais que dirait-on de moi, si,
Comme Borée, ce mauvais air, roi du Septentrion,
Je livrais à vau-l’eau
Les mâts enchevêtrés d’un port dévasté
Ou faisais ruisseler des trombes échevelées
Sur un monde éberlué
De telles fureurs ?
Non, je préfèrerais à tout prendre
Peindre des aquarelles
De mon souffle apaisé,
Ou friser les cheveux d’une demoiselle
Aux yeux spitants et spirituels
Qui me souriraient.
Annie Vernhes, 74 ans.
Histoires d’eau
Plouf plouf plouf
trois grenouilles en riant
plongent dans l’étang
tout en éclaboussant
de gouttelettes irisées
les verts roseaux éclatants.
La mangrove laisse fuser sa vigueur
vers le ciel tropical
ses superbes échasses brunes
grimpent jusqu’à sa canopée vert cru
on dirait une aquarelle démesurée
imaginée par un pinceau géant.
Un lutin spitant s’est glissé sous la ramée
qui ruisselle après la vive ondée de la nuit
qui a inondé l’oasis esseulée
et un poisson bicolore
s’en est allé à vau-l’eau
au beau milieu de la rivière argentée.
Le fluide mystérieux de la lune
a fait balancer les marées
et les mers ont débordé
la planète a été engloutie
comme une grosse bille d’agate
dans le trou noir de mon rêve…
Danièle Elom-Perrier, 80 ans
Morgane
L’été bat son plein. Tandis que je parcours l’allée silencieuse du musée, noyé dans ce monde fascinant de la culture, je découvre le charme d’une aquarelle où trône une mangrove peinte. Elle m’a surprise. Elle m’a happée. J’ai laissé faire. La grâce de la nature, la chaleur des corps du pays de l’ondée et le chant poétique des êtres invisibles m’ont attiré pour m’engloutir comme un enfant hypnotisé.
Plouf ! Je plonge. Le musée n’est plus. La forêt de palétuviers m’absorbe. Je vogue à vau-l’eau dans cette eau limpide et nourricière. Je me laisse guider dans ce pays liquide par cette fée de l’ondine qui m’accueille. Bientôt, j’entrevois un autre monde. J’entends les voix d’Astghik et de Tsovinar qui m’appellent depuis le mont Ararat, la slave Mokosh m’envoute, Poséidon et Neptune me regardent passer depuis leur profondeur. Pardon, je ne suis qu’un visiteur.
Est-ce un rêve ? Je ne ressens plus la douleur dans mon cœur. J’oublie le médecin prudent qui me soigne. Je surnage dans un monde où je me sens bien. J’avance, naviguant toujours sur ma barque invisible, dans les méandres en torrent qui s’accumulent et qui me perdent. Je respire la fraîcheur de ces eaux presque calmes, la chaleur tropicale, l’atmosphère de cette oasis de bonheur qui me ressuscite. Je revis.
Et puis, soudain, cette main qui me touche. Elle me réveille. Elle est douce. Où suis-je parti ? Je regarde ma chemise. Je ruisselle. Ai-je donc réellement voyagé dans cet autre monde ? Je regarde cette main qui me touche. Levant les yeux, je découvre cette femme aux yeux vert d’eau et à la noire chevelure ondulante. Son prénom : Morgane.
- Ça va, monsieur ?
Sa voix m’enchante.
- Oui, madame.
- Asseyez-vous, je reviens.
Tandis qu’elle m’offre une chaise, je respire. J’ai dû faire un malaise. La jeune femme s’éloigne. Sa démarche légère est fluide comme un courant d’air pur. Je la suis. Du regard. Mon cœur bat la chamade, lui, cet être subitement spitant, toujours pistant l’être aimée, perdue à jamais.
Revenant avec des blouses blanches, ma repêcheuse accoure vers moi. Celui qui la suit à la force de Lir, divin marin celtique. Dans son sillage, une infirmière, aussi belle qu’une naïade, s’empresse. Ils arrivent, s’affairent. Leurs voix me caressent les tympans. Leur suavité me guérit.
Il est encore temps que j’appelle maman.
C’est décidé, demain, je mets les voiles. Je reprends la mer.
Jérôme Decourcelles, 49 ans
À la source
Voyageurs de tout horizon, de toute vision…
Cultivent leur jardin, construisent leur maison…
Se voient, se revoient, échangent de vives voix…
Se dévisagent, s’envisagent, s’entrevoient…
Le grand voyage n’en n’est pas moins de tout repos…
Des mangroves où la nature laisse pousser sa peau…
Aux traversées de déserts sans le moindre oasis…
Contre vents et marées, ne pas qu’ils s’engloutissent…
Des yeux vont ruisseler de larmes lors des ondées…
Des sourires vont se former au soleil dénudé…
Cette aquarelle qu’est le monde… Dessinée à vau-l’eau…
Aux êtres de deux fluides de sang d’or et d’eau…
Forment des vies bien spitantes ! Ne pas rester sot…
Plouf ! Pas tant de temps partant… Prêts pour le grand saut ?
Corentin Fernagut, 22 ans
Il avançait à pas de loup, en silence, d’une démarche fluide, comme celle d’un animal habitué à progresser dans le dédale de la mangrove.
Les branches enchevêtrées nécessitaient constamment qu'il se penche au risque de tomber et être englouti par cette eau boueuse, un peu malodorante, presque compacte.
La dernière ondée avait encore renforcé en humidité l’atmosphère déjà lourde, la rendant encore plus oppressante.
Il entendait au loin le bruit assourdissant de la cascade et il lui tardait de l’atteindre enfin. Il voulait une dernière fois observer la danse des gouttelettes d'eau spitante, qui rebondissaient joyeusement sur les roches polies.
Elles tintaient si joliment en notes cristallines, puis disparaissaient mystérieusement dans un gouffre naturel, ruisselant le long des parois de ce puits sombre à la margelle de mousse végétale gorgée d'eau.
Il aurait tant aimé avoir le don de la peinture pour fixer à l'aquarelle la vision paradisiaque de cette oasis de fraîcheur.
Finalement, oubliant la tristesse de ne pas avoir ce talent pictural, il préféra laisser ses regrets partir à vau-l'eau en les confiant à cette onde bienfaisante.
Il y plongea en provoquant un léger plouf qui troubla à peine la surface du bassin que la nature avait judicieusement dessiné au pied de la cascade majestueuse.
Isabelle Lucas, 57 ans
Et s’il suffisait d’un peu d’imagination ?
Ce matin j’ouvre lentement mes yeux, mes volets puis mes fenêtres. Le spectacle printanier qui s’offre à moi est un émerveillement : sous mon balcon ensoleillé une palette de couleurs mêlant végétation foisonnante et urbanisme élégant, avec de-ci de-là quelques oiseaux, une véritable aquarelle digne des plus grands peintres ! Avec cette damnée épidémie mêmes les plus optimistes commençaient à se dire que tout partait à vau-l’eau. Le virus balaye tout sur son passage, prêt à engloutir des milliers de vies humaines sans faire de discrimination. Pourtant sous mes yeux la rivière robinsonnaise suit paisiblement son cours fluide et la nature ne semble pas souffrir de la situation, bien au contraire. Certes c’est une rivière artificielle qui serpente entre les immeubles, une création humaine, nous ne sommes pas sous les tropiques avec leur végétation luxuriante de mangrove et encore moins dans un hypothétique désert d’où surgirait un oasis tel une apparition fantasmagorique. Mais l’illusion est parfaite.
Et s’il suffisait d’imaginer ?
Confinés chez nous, nous en sommes souvent réduits au voyage intérieur. L’ondée qui s’abat parfois dans ce décor bucolique réalimente la rivière de la Cité Jardin, lui redonnant une impulsion salvatrice, la régénérant. Ce glouglou incessant nous invite volontiers à faire un plouf bien qu’ici la baignade soit interdite. Qui plus est, ce n’est probablement pas un motif licite de sortie de chez soi. On en oublierait parfois que nous sommes en milieu urbain.
En y réfléchissant ce n’est pas un hasard si nous avons surnommé notre planète « la planète bleue ». Même si l’humanité était rayée de la carte suite à la pandémie, il y a fort à parier que l’eau continuerait de ruisseler. Tantôt douce et limpide, tantôt furieuse et déchaînée, l’eau reste notre source de vie, la matrice dont nous sommes issus, nous, nos sœurs les plantes et tous les êtres vivants jusqu’aux insectes que l’on juge injustement nuisibles. Son cycle infini, terrestre, océanique et céleste symbolise notre richesse à tous. L’eau que nous buvons est d’ailleurs à l’image de nos torrents et lacs de montagnes, mers calmes et océans déchaînés ou pacifiés : tantôt plate et tempérée, parfois spitante et plus agitée.
Alors je me prends à rêver devant mon verre d’eau légèrement troublé : quand tout ceci sera fini et que je pourrai enfin engloutir des kilomètres de promenade en forêt au bord d’une rivière, la vie reprendra son cours fluide et ma cité restera mon oasis de paix, mon refuge.
Pascal Bouillon, 48 ans
« Elle » est richesse planétaire, « Elle », c’est L’EAU.
Pourtant,
selon que l’on soit Terrien d’un continent défavorisé ou d’un autre plus privilégié, nous serons amenés à en faire un usage vital ou nettement plus superflu.
Du côté du continent africain, où cette eau si rare et si précieuse ; Telle une oasis de bonheur tant désirée ; Ses habitants rêvent de la voir ruisseler à flots jusqu’à la mangrove.
Ils aspirent à ne jamais en manquer et lorsqu’une ondée salvatrice vient à tomber du ciel, ils font tout pour la recueillir et surtout ne jamais la gâcher.
Du côté de nos continents, beaucoup moins affectés...
On s’en préoccupe peu ou prou, c’est du domaine de l’acquis.
Pour nous, cela va de soi, c’est fluide, même si finalement on flirte dangereusement avec l’inconscience, voire l’indifférence qui pourraient nous faire partir à vau-l’eau...
On ne se pose pas de questions fondamentales.
Nous avons envie de nous désaltérer :
un verre bien frais de spitant satisfera notre soif.
Nous avons l’âme artiste :
nous l’emploierons agréablement pour peindre une aquarelle.
Nous possédons une piscine :
eh bien soit, un simple plouf assouvira notre souhait de s’y engloutir tout entier.
L’eau, c’est la vie... mais à quel prix ?
Pour certains : véritable trésor, ne pouvoir l’utiliser que pour l’essentiel.
Pour d’autres : pouvoir en jouir, comme bon leur semble.
Sophie Degorre-Alozy, 56 ans